Que cache le tarif d’un gobelet « Mon cœur rayonne » à 29€ ?
Quand on est artisan.e, pas si facile d’assumer des prix « justes », révélateurs d’un savoir-faire singulier et du temps passé, des prix qui nous permettront de vivre et faire vivre notre entreprise. Pas facile car ces tarifs seront parfois considérés comme étant « trop cher ».
Je ne suis pas encore très à l’aise avec la question, mais avoir suivi la formation « Calculer ses prix » proposée par la Chambre de métiers et de l’Artisanat de Gironde m’a aidé dans cette démarche et donné envie de modestement contribuer à ce sujet : informer et partager pour mieux comprendre me semble en effet important.
La valeur de l’artisanat
Quiconque crée son entreprise doit sérieusement se pencher sur l’épineux sujet des prix. Et, au-delà du prix, la valeur – de l’objet ou du service – est essentielle lorsque l’on parle d’artisanat, a fortiori d’artisanat d’art.
En effet le prix et la valeur, bien qu’intrinsèquement liés, sont deux choses distinctes et l’artisanat pose ainsi la question de la valeur : celle du temps passé, à imaginer et créer, mais aussi celle des investissements, risques et engagements variés auxquels souscrit l’artisan.e (monter son entreprise, prendre le risque d’investir, parfois quitter le salariat et toute la sécurité matérielle qu’il permet, ça n’est pas rien !).
Alors oui, l’artisanat, c’est cher. Ou plutôt, ça a un coût.
Plusieurs même : l’un quantifiable, au travers du calcul des charges fixes et variables, l’autre plus abstrait, au regard d’un savoir-faire et de la valeur ajoutée inhérents à l’artisanat.


L’artisanat, « c’est cher »
Quelle artisan.e n’a jamais entendu la fameuse phrase « C’est trop cher » ou, pire encore, « C’est trop cher pour ce que c’est » ?
Reconnaissons qu’il peut être difficile pour un.e néophyte de se rendre compte du travail et de l’investissement qui peuvent se cacher derrière un objet ou un service.
Aussi renseigner, expliquer, documenter me semble-t-il important.
Non seulement pour que les curieuses, curieux et client.e.s de tous bords puissent comprendre les prix, mais aussi pour que les artisan.e.s parviennent à se défaire un peu du cruel symptôme de l’imposteur, qui bien trop souvent empêche d’assumer d’afficher un prix juste, un prix qui permette de vivre de son métier, de son savoir-faire et pas seulement de vivoter en se demandant comment on va s’acquitter des prochaines échéances.
(Je sais de quoi je parle).
Alors oui, l’artisanat, c’est cher. Mais ça n’est pas TROP cher !
Simplement, nous n’avons pas toutes et tous le même pouvoir d’achat et tout le monde ne peut pas se permettre de faire le choix de l’artisanat. En tout cas pas tout le temps.
Parfois, il s’agit aussi de choix de consommation.
Pourquoi un gobelet à 29€, minutieusement fabriqué en France, à la main, avec un savoir-faire singulier et avec beaucoup d’attention serait-il trop cher quand le tarif de 60€ pour un pantalon fabriqué en Chine dans des conditions déplorables sera jugé raisonnable ?
Consommer autrement nécessite peut-être parfois un peu de pédagogie. Informer pour donner les clefs d’une consommation autre : moins mais mieux, de façon plus éthique.
Cela étant, ce choix citoyen, même avec la meilleure des volontés, nous ne sommes pas en mesure de le faire tout le temps, car souvent, il implique des dépenses plus importantes, que nous ne sommes pas toujours en mesure de faire (moi compris : je m’applique à avoir la consommation la plus raisonnée et éthique possible, mais les contraintes financières ne peuvent pas être occultées et conditionnent de fait certains choix).
Le coût… du temps
C’est un facteur essentiel de la création et il représente le plus grand coût de la production artisanale.
C’est aussi la plus grosse différence avec la production industrielle de masse, qui fait usage de machines permettant un gain de temps et donc de rentabilité. On peut produire en grande quantité, rapidement, et souvent en se passant en grande partie de main d’œuvre humaine (ou, parfois même, en l’exploitant; mais c’est encore un autre sujet ;-).
La production industrielle implique par ailleurs de se passer de ce qui fait la valeur de l’artisanat : la singularité. Le supplément d’âme et de caractère laissés par le savoir-faire des mains de l’artisan.e, l’empreinte de ses réflexions et son esprit créatif.
Par exemple, pour un gobelet « Mon cœur rayonne », beaucoup sont certainement loin d’imaginer qu’il aura fallu pas moins d’une douzaine d’étapes pour arriver à boire son café dans un contenant empreint de douceur (vous pouvez si vous le voulez voir l’article consacré aux étapes de fabrication d’une céramique).
À ce temps de fabrication formelle s’ajoute celui passé à s’occuper de tout le côté administratif, de la communication, de la vente, de la préparation de la terre, des émaux, des engobes, etc.
Sans oublier celui passé à la réflexion pour penser les collections, faire des croquis, des prototypes.
Le coût… des charges fixes
Avec une bonne méthodologie (Merci la Chambre de métiers et de l’Artisanat pour l’accompagnement !), ce sont les plus faciles à calculer précisément.
Avoir un atelier c’est super. Mais pour beaucoup d’artisan.e.s, dont je fais partie, ça veut dire payer un loyer et rembourser un crédit (l’investissement matériel). Ce sont de gros postes de dépenses, probablement les plus évidents à identifier.
Mais il y en a bien d’autres : services bancaires, assurance pro, mutuelle, complémentaire santé, électricité (ce n’est pas rien quand on est céramiste et que chaque objet doit subir 2 cuissons haute température – 980 puis 1260°C d’une douzaine d’heures chacune…), site internet (là, l’air de rien, il y a pas mal de frais : noms de domaines site internet, contrat maintenance, gestion cookies et RGPD, extension gestion événement (résa cours), extension gestion boutique, extension CRM et e-mailing), téléphonie, publicité, marchés, amortissement matériel, fournitures, emballages, renouvellement petit outillage, et j’en oublie certainement.
Par ex. pour MUSARDE, ces frais fixes s’élèvent à 1 230€ /mois.
Eh oui, il faut en vendre des gobelets pour espérer vivre de son métier 😊
Et à ces charges fixes, n’oublions pas l’URSAFF, à qui l’on doit reverser 12,3% sur chacune des ventes, soit 3,60€ par gobelet (pour les cours, c’est encore plus : 21,2%).
Le coût… de la valeur ajoutée
Là, ce sont des données plus abstraites et plus difficilement quantifiables.
Il s’agit notamment de mon savoir-faire, acquis en partie durant ma formation de tournage en céramique suite à laquelle j’ai obtenu un CAP (même si là, je peux identifier son coût – 14 500€ 😉 mais aussi des compétences acquises lors de mes vies professionnelles précédentes, qui tout autant que mon histoire personnelle viennent aujourd’hui nourrir ma pratique d’artisane. Tout cela fait la singularité de ma création.
Ça n’est pas quantifiable, ça n’a pas véritablement de prix, mais ça a de la valeur et ça contribue à part entière à définir l’artisanat.

La marge dégagée sur chacune des ventes, en plus d’assurer une trésorerie vitale à la survie d’une entreprise (qui dans l’idéal devrait avoisiner au moins les 30%), peut peut-être venir prendre en charge un petit peu de cela…
Quoi qu’il en soit, lorsque vous faites le choix de l’artisanat, vous contribuez de façon non négligeable à soutenir un écosystème fragile mais engagé. Vous permettez aussi de promouvoir et préserver des savoir-faire ancestraux et singuliers. Et cerise sur le gâteau, vous faites rayonner un.e artisan.e, au propre comme au figuré.
Alors pour ça, pour vos choix et votre enthousiasme, MERCI !!
Très bonne idée de faire un article sur le prix d’un objet céramique de fabrication artisanale en précisant tout ce qui se cache derrière.
C’est une bonne approche pédagogique pour le consommateur et un bon point de repère pour les collègues.
Bon courage pour la suite.
Patricia, céramiste fraîchement diplômée de Fakto Biarritz, en démarrage d’activité et en pleine réflexion stratégique.
Bonsoir Patricia,
Toutes mes félicitations pour ton diplôme !
Et merci beaucoup pour ton retour.
Il est vrai que c’est une sacrée histoire que celle des prix, avec tant de paramètres ! 😅 Ravie d’y contribuer à ma façon, modestement. Et c’est vrai qu’on a besoin de repères !
Je te souhaite une bonne réflexion et un très beau début de vie de céramiste !
À bientôt,
Virginie